Cela ne vous a sans doute pas échappé, la crise sanitaire du Covid a considérablement accéléré le recours à la visioconférence, dans tous les domaines: professionnels, personnels, sociaux. Même pour les tenues de certaines réunions des collectivités locales.
On dit que « nécessité fait loi », et pendant la période COVID, il fallait bien trouver les moyens palliatifs pour faire tourner les collectivités « sans contact ». Mais quand la nécessité a disparu, c’est la Loi tout court qui a repris la main. Et la Loi ne permettait pas, jusqu’il y a peu, de tenir des séances de délibération dans les collectivités locales autrement qu’en se réunissant dans un même lieu.

La visiophonie a longtemps été du domaine de la science-fiction, avant d’être utilisée de manière expérimentale par des communes (comme par exemple l’expérimentation de Biarritz en 1984).
https://www.paysbasque1900.fr/2017/05/le-visiophone-biarritz.html
La visiophonie est devenue banale en quelques années auprès du grand public, et elle est d’un usage courant dans les entreprises. Mais elle n’était pas encore utilisée pour les séances officielles des collectivités locales.
Échanger à distance des paroles et des fichiers, en regardant son/ses interlocuteurs – ce qui est devenu dans le langage courant une « visio » – peut se faire sans difficulté… si on dispose du matériel et du réseau nécessaire… Mais il faut aussi être autorisé à le faire.
L’avancée de la fibre optique et de la 4G (sans parler de la 5G) donnent progressivement la possibilité à tous les territoires d’accéder aux échanges en visio. Quid de la dernière frontière: l’avancée de la réglementation pour les collectivités ?
Une avancée de la Loi 3DS
Dans les collectivités, ce qui a été une dérogation ponctuelle pendant la période COVID, est entrain de gagner – lentement – ses lettres de noblesse, pardon de démocratie, officielles.
Grâce à la loi 3 DS, les Communautés de Communes (et plus généralement les EPCI) peuvent désormais tenir certaines séances à distance. Idem pour les tenues des séances des assemblées départementales et régionales !
Pour mémoire la loi dite 3DS, promulguée le 21 février 2022 et issue du « grand débat », traite de Différenciation, Décentralisation, et Déconcentration et porte diverses mesures de Simplification de l’action publique locale. Et dans ce cadre, elle a donc pris en compte, parmi bien d’autres sujets, la tenue distancielle des séances de conseil de certaines collectivités locales.
Une utilisation qui reste réglementée et restreinte pour les collectivités.

Ce mode de réunion distancielle n’est pas encore ouvert à toutes les collectivités locales.
Si le monde de l’entreprise a très rapidement compris l’intérêt qu’il pouvait tirer de ce mode de communication qui limite grandement les déplacements, le monde de la collectivité, beaucoup plus réglementé, est encore corseté pour son utilisation. Mais les choses avancent lentement.
Depuis le 1er Aout 2022, La loi 3DS relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration vient d’ouvrir, avec son article 170, la possibilité pour les intercommunalités de se réunir en visio conférence.
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000045197623
L’extension d’une telle possibilité aux conseils municipaux n’a pas été retenue par les législateurs, car les séances de conseil en présentiel ne présentent pas les mêmes difficultés d’organisation et de tenue que pour les groupements de communes, qui sont dispersées sur un plus grand territoire.
Une utilisation limitée à certaines séances et une fréquence réglementée
Désormais, le président d’un EPCI peut décider qu’une réunion du Conseil communautaire se tiendra en plusieurs lieux, par visioconférence.
Néanmoins, la tenue en visioconférence de certaines séances comme l’élection du président, du bureau et le vote du budget primitif n’est pas permise.
Et la fréquence d’utilisation de ce mode de réunion reste limitée. L’organisation d’une réunion en présentiel reste obligatoire a minima une fois par semestre.
Comme pour les réunions en présentiel, le principe applicable aux réunions en visio reste celui des délibérations publiques.
La réunion en « visio » doit donc être ouverte et accessible comme la réunion présentielle. Cela nécessite donc une diffusion en direct à l’attention du public et l’accessibilité des différents lieux mis à disposition par l’EPCI pour l’accueil de la réunion.
Cela signifie concrètement que si les délibérations ont lieu dans plusieurs mairies (voire dans toutes les mairies d’un EPCI), ces lieux doivent être accessibles au public, comme pour une réunion de Conseil Municipal.
En cas de demande de vote secret, le point en cause devra être reporté à une séance ultérieure qui se tiendra en présentiel.
Les modalités d’organisation de la réunion doivent être explicites.
La convocation doit mentionner la tenue partielle ou entière par visioconférence. Le règlement intérieur devra désormais fixer les modalités pratiques de déroulement de ces réunions (prise de parole, modalités des votes).

Un premier pas… suivi d’autres?
Il s’agit d’un premier pas utile, et on peut espérer que la réglementation étendra progressivement cette possibilité aux séances des assemblées municipales. Et ce notamment parce que le nombre d’élus locaux concernés est bien plus important dans les communes que dans les collectivités de niveau supérieur.
Un gain énergétique, un gain de temps, une incitation au présentéisme?
Outre les gains énergétiques en évitant des déplacements, cela permettrait ainsi d’impliquer des élus qui se font excuser en raison de congés, de maladie ou d’éloignement professionnel par exemple. Et ce mode de réunion, où l’éloignement oblige à bien canaliser les prises de parole et où la technique le facilite (il est facile de couper un micro), éviterait sans doute des digressions et permettrait des discussions plus concentrées sur l’ordre du jour; donc un gain de temps et d’efficacité.
Une meilleure accessibilité pour le public?
Et il est probable que ce mode de réunion, qui permet une diffusion en ligne des débats, soit plus facilement accessible au public que les réunions physiques en mairie… qui n’attirent pas grand monde. Une réunion en ligne pourrait ainsi être suivie par les citoyens depuis leur domicile, en direct et même en décalé si les réunions sont enregistrées.
Et ainsi un élu qui n’a pas pu participer à une séance pourrait accéder à la vidéo de la réunion en asynchrone, plutôt qu’à la seule lecture d’un compte-rendu forcément simplificateur.
Et l’humain dans tout ça?
Fort heureusement la Loi 3DS a pérennisé la nécessité de garder des séances en présentiel. Et c’est une très bonne chose, car la convivialité n’est pas la même par le biais d’une vidéo, et un café pris tout seul devant son écran n’a pas la même saveur que celui partagé, avec la chaleur humaine d’une équipe. Or la démocratie est une affaire humaine qui nécessite du contact, et une alternance des modes de réunion est donc bienvenue.
Maintenant, espérons que les législateurs feront un pas plus loin, et que les solutions qui visent à renforcer la démocratie et l’implication des élus et citoyens dans la vie de leur commune, pourront s’autoriser à proposer des applications de « vidéo démocratie ».
Les « managers de proximité » de notre république, que sont les élus municipaux, ont aussi besoin de pouvoir « télétravailler », et ce sont eux qui restent dans la zone d’ombre de la transformation numérique.